Login
Recover password
Registration

Members can log in to create events, publish stories, share resources and modify their password and newsletter subscription.

E-mail *
First name *
Last name *
Language preference *
Newsletter options *

By clicking below to submit this form, I hereby agree to the Sphere’s Privacy Policy and terms of use.

À quoi ressemble l’application des principes et normes humanitaires dans la réalité


les principes humanitaires

Les membres du panel et les participants ont discuté des raisons pour lesquelles les principes et les normes humanitaires sont à la fois indispensables et difficiles à appliquer. Voir la


galerie photo.

Photos © Louis Brisset/Projet Sphère

Retour sur l’Afghanistan, 2002. Une équipe humanitaire doit apporter des secours à des communautés isolées touchées par un séisme dans le nord du pays. En raison de l’altitude du lieu où se trouvent ces communautés, il faudrait plusieurs jours aux camions pour y parvenir. Mais une armée étrangère propose leurs hélicoptères pour livrer lesdits secours : « Nous pouvons vous y conduire par voie aérienne », c’est la proposition.

Cette armée est partie au conflit et leurs hélicoptères sont régulièrement utilisés pour mener des opérations militaires. « Nous nous sommes trouvés confrontés au dilemme de l’application des principes humanitaires de neutralité, indépendance, impartialité, mais aussi humanité », se souvient un membre de l’équipe humanitaire.

La discussion au sein de l’équipe est animée, ce qui n’est guère étonnant. « Acceptons-nous d’utiliser les hélicos militaires dans une zone de conflit et de faire semblant d’être neutres ? D’un autre côté, nous n’avons aucune chance de pouvoir faire parvenir les secours à une telle altitude par nos propres moyens. Alors, que faire ? »

Manuel BesslerL’ancien membre de cette équipe humanitaire qui relatait cette histoire à un public attentif était l’ambassadeur Manuel Bessler, chef du département d’Aide humanitaire de la Direction du développement et de la coopération de la Confédération Suisse.

M. Bessler était chargé d’ouvrir une « table ronde sur les principes humanitaires et l’efficacité de l’aide » organisée comme événement parallèle à la qui a eu lieu à Genève en novembre dernier. Cette table ronde faisait partie d’une série de conférences organisée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur les « Principes directeurs de l’action humanitaire ».

Des praticiens humanitaires et des représentants des missions permanentes auprès de l’ONU ont assisté à cet événement et pris une part active au débat. Un bref résumé de certains des échanges est présenté ci-après.

« Les principes humanitaires – humanité, impartialité, neutralité, indépendance – sont la pierre angulaire de l’action humanitaire », a rappelé M. Bessler dans son discours d’ouverture. « Et si cette pierre est renversée, c’est la structure tout entière qui s’effondre. En fait, si une opération est humanitaire, c’est en raison de l’approche axée sur des principes. »

En plus de ces principes, les normes de qualité sont tout aussi indispensables, afin de « placer les bénéficiaires au cœur même de l’action humanitaire », a ajouté M. Bessler. « Comment y parvenir si nous n’avons pas certaines normes par rapport auxquelles les opérations peuvent être mesurées ? »

Cependant, M. Bessler a mis les membres du panel au défi de discuter des principes et normes humanitaires, qu’il est « facile de se rappeler dans une salle de conférence ou dans le cadre d’un cours de formation », mais du point de vue de leurs expériences sur le terrain. À quoi ressemble leur application dans des situations réelles difficiles ?

Sophie OrrSouvent, face à plusieurs problèmes concurrents dans des situations tout particulièrement complexes, que ce soit au Soudan du Sud ou au Yémen, l’application des principes humanitaires est par définition difficile et présente des dilemmes, a expliqué Sophie Orr, conseillère stratégique du directeur des opérations du CICR.

Dans ces situations, il existe un « délicat équilibre » auquel il est parfois difficile de parvenir parce que les choses « ne sont pas toujours extrêmement claires ». De fait, les principes constituent un cadre opérationnel qui aide à se frayer un chemin parmi les défis et les dilemmes inhérents à la fourniture d’aide dans des environnements complexes et à surmonter ces défis et dilemmes.

« Les principes humanitaires peuvent être utiles, mais il ne s’agit pas seulement des principes », a expliqué Mme Morel. « Il s’agit aussi de ce qui est utile selon les personnes touchées par des catastrophes ou des conflits elles-mêmes, et il faut réunir ces deux facteurs. Ces deux aspects, une fois conjugués, vous donnent un « sens moral » qui vous aide à gérer la situation. »

Terry MorelSelon Mme Morel, l’application de principes humanitaires et le positionnement des personnes au cœur de notre travail vont ensemble. « Parfois, il vous faudra arriver à un compromis, mais si vous parlez aux gens et déterminez quel est leur point de vue, et si vous faites ensuite correspondre cela aux principes et à un peu de réalisme politique, alors avec un peu de chance vous pourrez trouver une manière d’avancer pratique mais raisonnable. »

Mme Orr a reconnu que, dans un monde de plus en plus complexe, les principes humanitaires sont soumis à une grande pression, ce qui demande « une sensibilisation et un dialogue constants sur les principes et les normes, en particulier avec ceux qui ne les connaissent ou les comprennent peut-être pas ».

De plus, « les organisations qui utilisent ou souhaitent utiliser les principes et les normes doivent veiller à ce que leurs membres du personnel soient orientés et formés pour les utiliser de manière cohérente. Le fait de ne pas les utiliser de la bonne manière peut se révéler très préjudiciable pour la réputation des organisations qui n’y adhèrent pas correctement », a fait remarquer Mme Orr.

En plus des principes humanitaires, les normes peuvent aussi se révéler difficiles à appliquer.

Barbara MineoD’un côté, les normes doivent être contextualisées. « Nous avons nos normes, mais bien entendu nous appliquons les standards Sphère et les autres normes reconnues à l’échelle internationale », a expliqué Barbara Mineo, directrice humanitaire d’Oxfam Intermón et membre du Conseil d’administration de Sphère.

« Nous devons bien sûr adapter leur application à chaque contexte parce que chaque contexte est très différent. Il s’agit là sans aucun doute d’un défi pour l’organisation. »

De l’autre côté, il peut aussi y avoir des contraintes de financement. « Les coûts varient selon le contexte. Il peut être moins coûteux d’adhérer aux normes dans un camp de réfugiés dans le nord du Cameroun, disons, que dans une autre région, comme par exemple la Jordanie », a expliqué M. Morel.

Vikrant MahajanQui plus est, « parfois nous ne disposons d’aucune manière directe de déterminer si les normes sont utilisées », a déclaré Vikrant Mahajan, directeur général de Sphère Inde, lui aussi membre du Conseil d’administration de Sphère.

« Ainsi, en Inde, nous avons mis au point ce que nous appelons une méthode d’analyse « droits en temps de crise » (Rights in crisis). Dans le contexte d’une catastrophe donnée, nous nous réunissons en panel inter-organisations et décidons de normes pertinentes pour le contexte dont il s’agit. Puis nous demandons à nos agences membres qui interviennent dans le cadre de cette catastrophe de rendre compte de l’application de ces normes. »

« Nous collectons les informations et revenons vers les autorités, nos membres et les bailleurs de fonds pour discuter de la différence entre ce que doivent être les normes minimales et ce qu’elles sont en réalité. Grâce à cet exercice conjoint d’apprentissage, nous menons des activités de plaidoyer pour combler les lacunes. »

Mme Mineo s’est dite d’accord avec la dimension d’apprentissage mise en relief par M. Mahajan. « Les normes nous permettent de mesurer la qualité du programme, de tirer les leçons de nos échecs et, ainsi, d’être en mesure de corriger ou de réorienter notre travail. »

L’actuelle crise des réfugiés et des migrants en Europe représente un autre type de défi pour l’application des normes humanitaires. « En Europe, le défi que nous devons relever », selon Mme Morel, « consiste à faire en sorte que les autorités gouvernementales considèrent la satisfaction de normes essentielles dans certains cas ».

« Nous avons observé des centres de transit en Europe et les avons comparés à nos normes HCR et avons conclu qu’ils n’y satisfont pas », a déclaré Mme Morel. Et d’ajouter : « Il n’y a pas d’abris à proprement parler ; il s’agit plutôt de sites d’accueil, de sites d’assemblée sans véritables installations d’hébergement ; et ces sites ne satisfont pas à nos normes, par exemple sur le plan de l’approvisionnement en eau, de l’hygiène et de l’assainissement. »

« Il s’est révélé assez difficile de pousser les autorités à assumer leurs responsabilités », a déclaré Mme Morel, reconnaissant la complexité de ce qui est une situation extrêmement politisée. « C’est difficile, parce que les gouvernements peuvent ne pas vouloir que les personnes restent plus de quelques heures. »

Au vu de cette situation, les humanitaires ont un rôle de plaidoyer à jouer. « Nous devons apporter notre aide ; nous devons continuer à tenter de convaincre les autorités de faire valoir les normes essentielles. Nous ne pouvons pas permettre cela. L’Europe doit faire valoir des normes humanitaires essentielles que les personnes sont en droit d’attendre. »

Si l’on veut que les personnes touchées par des catastrophes ou des conflits soient au cœur même de l’action humanitaire, il est évidemment crucial que la redevabilité à leur égard soit assurée.

Selon Mme Orr, « les organisations sont beaucoup plus conscientes de la redevabilité à l’heure actuelle ». Par conséquent, elles « s’efforcent d’utiliser des outils leur permettant de se montrer plus redevables envers les populations auxquelles elles viennent en aide ou qu’elles protègent, mais aussi envers les autorités et les bailleurs de fonds locaux ».

Parmi ces outils, les organisations « élaborent des mécanismes leur permettant de recevoir un retour de la part des bénéficiaires ainsi que des mécanismes de plainte », a déclaré Mme Mineo.

Cependant, il « n’est pas toujours facile » de rectifier le tir en fonction du retour reçu, a reconnu Mme Mineo, même s’il est possible de le faire. « Cela dépend des capacités en place, des ressources disponibles et de votre aptitude à vous montrer souple et à vous adapter à un contexte en mutation constante. »

Pour Mme Morel « le fait d’être redevable reste un point d’interrogation. C’est très compliqué dans le système humanitaire axé sur des groupes (des clusters), parce qu’il s’agit de redevabilité collective. Comment expliciter qui doit rendre compte de quoi à qui ? »

« Je ne suis pas convaincu que nous savons comment procéder ou que nous nous montrons francs au moment de nous remettre en cause par rapport à cette question, au sein des équipes humanitaires de pays. Ce type de redevabilité collective et de mécanisme axé sur les pairs demande beaucoup plus d’honnêteté. Nous sommes toujours tellement polis les uns envers les autres. »

Mme Morel estime qu’il est possible d’apporter des améliorations, à commencer par la question de la concurrence entre organisations. « Devons-nous tous rester sur place et mener à bien les projets et nous tenir la main et rivaliser pour obtenir les fonds et avoir une place à la table ? Est-ce que c’est cela, la redevabilité ? Je ne crois pas. »

Sphère Inde facilite régulièrement l’acquisition d’outils de redevabilité pour les membres de son consortium. « D’après mon expérience, nous avons de bons cadres », a expliqué M. Mahajan. « Les principes et normes humanitaires sont des moyens qui permettent de parvenir à la redevabilité. »

Mais pour que la redevabilité se matérialise, « il faut que ces aspects soient clairement compris sur le terrain, au niveau opérationnel ». M. Mahajan pense que c’est « au niveau où a lieu l’interaction avec la communauté qu’il faut investir dans le renforcement des capacités ».

« Si nous faisons cela », ajoute-t-il, « nous pouvons voir la redevabilité comme un travail en cours. »

* * *

Et pour ceux qui se posent la question de savoir si l’équipe humanitaire a fini par utiliser les hélicoptères militaires en Afghanistan en 2012… « Oui, nous avons utilisé les hélicos », a déclaré M. Bessler au moment de clôturer la table ronde. Et d’ajouter : « Je suis vraiment convaincu que les principes ne sont pas un but en soi, mais un outil conçu pour nous aider à satisfaire les besoins des personnes touchées par des catastrophes ou des conflits. »

« Je me suis senti vraiment mal à l’intérieur de cet hélicoptère. Mais lorsque je suis descendu et que j’ai vu les personnes auxquelles nous allions distribuer des aliments et d’autres secours, je me suis dit que nous avions pris la bonne décision. »