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En quoi la culture des organisations humanitaires doit-elle changer pour mettre les personnes au centre

En écoute sur les expériences des réfugiés sud-soudanais en Éthiopie, mars 2016. Photo © Thomas Skov Hansen/DCA

Par Nik Rilkoff (*)

Dans le cadre de leurs efforts en vue de tenir leurs engagements en matière de redevabilité, de nombreuses organisations humanitaires ont investi du temps, de l’argent et des efforts dans des systèmes d’information et des mécanismes de retour afin de répondre aux plaintes. Cependant, il semblerait que nous ne fassions pas encore tout juste.

C’est l’un des enseignements qui se dégagent du projet Écouter Apprendre Agir (LLS: Listen Learn Act), qui teste actuellement sur le terrain une méthode innovante pour obtenir le retour de la communauté en ce qui concerne la qualité et la redevabilité au titre de la Norme humanitaire fondamentale (CHS). Le Projet Sphère est un proche collaborateur dans le cadre de ce projet.

Le premier de deux rapports d’apprentissage LLA montre que ce sont les performances par rapport aux engagements 4 et 5 de la CHS – information, participation et plaintes – qui recevaient le plus fréquemment les notes les plus faibles, et ce dans les quatre pays pilotes, et avec les 15 organisations participantes.

La quantité limitée de connaissances qu’ont les communautés sur les projets et la manière de présenter un retour à leur sujet est une conclusion décevante, même s’il elle n’étonnera pas beaucoup de membres du secteur humanitaire. Il est largement reconnu que les communautés ont du mal à trouver un espace pour participer à la prise de décisions qui ont un effet sur elles.

C’est justement ce défi que le projet LLA cherche à relever à travers un processus formel d’enquête au sein de la communauté, de retour et de dialogue.

Mais il ne suffit pas d’avoir les compétences. Nous avons besoin d’un leadership et d’un solide soutien de gestion en vue du changement. Les organisations doivent être disposées à s’ouvrir, à céder une part de contrôle en matière de prise de décisions et à aider les membres du personnel de première ligne à écouter, apprendre et agir.

Après deux jours de formation Écouter Apprendre Agir, j’ai pris un café avec Martina [pseudonyme] pendant qu’elle me racontait son histoire. Responsable de programme de première ligne au sein d’une ONG internationale, elle avait récemment été hospitalisée pour épuisement.

Les heures interminables et épuisantes passées à s’occuper de son équipe et à écouter les innombrables histoires d’exclusion et de besoins non satisfaits des réfugiés tout autour d’elle avaient créé un poids qu’elle n’avait pas pu continuer à porter.

Elle m’a expliqué qu’elle s’était sentie incapable de répondre aux préoccupations des bénéficiaires et accablée par les retours de la communauté auxquels elle n’était pas en mesure de répondre ; ses yeux se sont remplis de larmes ; je n’ai pu que l’écouter.

Le bailleur de fonds du projet de Martina ne veut pas de retour. Son équipe n’a pas le droit de poser des questions aux ménages, de sorte que les préoccupations des personnes concernant le moment où les aliments sont livrés ou l’impact dévastateur du jugement selon lequel un voisin âgé n’est pas « assez vulnérable » ne figurent pas dans les rapports de suivi. Les gens ont arrêté de déposer des plaintes, car elles restent sans réponse.

Mais tous les jours, l’équipe de Martina est en contact avec les réfugiés et, jour après jour, le nombre de problèmes dépasse celui des solutions – ce qui donne lieu au stress et à l’angoisse parmi les membres du personnel.

À l’échelon supérieur de l’organigramme, les responsables supérieurs n’ont pas été en mesure de plaider auprès du bailleur de fonds pour qu’il permette des changements aux programmes sur la base du retour reçu de la communauté. Ils ne peuvent donc pas aider Martina à boucler la boucle, à discuter des solutions avec les personnes touchées et à promulguer des changements aux programmes pour en améliorer l’impact.

Martina mesure l’ironie du fait que son équipe et elle venaient de passer deux jours à consolider leurs compétences d’écoute, d’apprentissage et d’action sur le retour reçu de la communauté.

La formation se base sur la méthodologie Constituent Voice de Ground Truth Solutions. Cet outil est utilisé par des membres du personnel de première ligne pour systématiquement demander aux personnes touchées si elles pensent que les humanitaires travaillent efficacement par rapport à la CHS, pour mesurer « où ils en sont », puis discuter avec les communautés pour comprendre où elles considèrent qu’il y a des lacunes et comment elles pensent qu’elles peuvent être comblées.

Après cela, l’étape naturelle suivante est que les membres du personnel humanitaire soit apportent ses propres ajustements internes à ce qu’ils font et à la manière dont ils le font, soit présentent les problèmes à d’autres interlocuteurs ou porteurs d’obligations.

Les membres du personnel de première ligne savent, mieux que quiconque, à quel point il est important de renforcer la confiance et l’appropriation locale et de faire participer les gens à la prise de décisions. Mais que peut faire Martina lorsque ses supérieurs hiérarchiques et son bailleur de fonds refusent de la laisser utiliser ces compétences ?

En pratique, écouter les gens prend du temps – élément des plus précieux pour les membres du personnel chargés de mettre en œuvre des projets et de rédiger des rapports fréquents et complexes destinés aux bailleurs de fonds, une obligation pour les organisations humanitaires pour lesquelles satisfaire leurs bailleurs est une priorité.

La présentation de rapports « ascendants » est un exercice ardu et chronophage et s’inscrit dans un flux unilatéral d’information. En effet, les efforts de présentation de rapports fournis par le personnel donnent rarement lieu à un retour de la part des bailleurs de fonds qui les reçoivent – une ironie de plus, car LLA et d’autres entités promeuvent des « boucles de rétroaction communautaire fermées ».

C’est pourquoi LLA se concentre sur des techniques concrètes et simples pour améliorer les pratiques de redevabilité. Il s’agit de recueillir un retour utilisable et exploitable, puis d’en faire quelque chose: boucler la boucle en discutant des résultats du suivi avec les communautés, en veillant à ce que nous comprenions bien les problèmes et leurs causes possibles. Réfléchir à des réponses et des solutions avec les personnes.

Il y a des mesures simples et pratiques que les équipes de direction des organisations humanitaires (et de développement !) peuvent prendre pour établir et promouvoir une culture organisationnelle qui s’inscrit dans les principes de la CHS. Demandez-vous si votre organisation peut :

  •  Donner aux membres du personnel l’espace nécessaire dans leur journée de travail pour écouter les personnes et agir en fonction de leur retour ? 
  •  Lâcher un peu les rênes et ouvrir les processus de prise de décisions aux personnes touchées par ces décisions ? 
  •  Intégrer l’attente de participation de la communauté dans les descriptions des postes et reconnaître les membres du personnel qui le font ? 
  •  Intégrer les efforts pour boucler la boucle du retour dans les guides de bonnes pratiques en matière de suivi. Pourquoi ne pas en faire un élément attendu des membres du personnel, tout en les aidant à revenir vers les communautés pour examiner les causes des problèmes découverts à travers les mécanismes de retour, demander aux personnes touchées comment elles définiraient un meilleur scénario et ce que chacun d’entre nous peut faire pour améliorer la situation ?
  • Les responsables humanitaires sont-ils disposés à mettre en pratique le discours de la redevabilité et à donner la priorité aux engagements en matière de qualité et de redevabilité ? Sont-ils disposés et prêts à aider leurs membres du personnel à écouter, apprendre et agir ?

    Telle est l’une des recommandations qui se sont dégagées du projet Écouter Apprendre Agir à ce jour: Les organisations humanitaires doivent mettre un accent plus marqué sur l’écoute systématique des personnes et les efforts pour répondre à leurs préoccupations.

    Le processus pilote LLA a commencé à renforcer la réactivité des organisations participantes au retour de la communauté sur la redevabilité. Il s’agit d’un des accomplissements les plus considérables du projet à ce jour, mais c’est aussi un accomplissement fragile qui peut être facilement réduit à néant.

    Il est essentiel que la culture organisationnelle évolue vers des manières de travailler qui situent systématiquement les communautés au cœur même de notre travail.

    * Nik Rilkoff est la responsable du projet Écouter Apprendre Agir, un consortium formé par DanChurchAid et Save the Children, en partenariat avec Ground Truth Solutions, et financé par l’aide humanitaire de l’UE.