Faire appel à des célébrités pour promouvoir des idées, des produits ou une cause particulière… rien de bien nouveau. En 1928 déjà, Edward Bernays — qui passe pour être le « père des relations publiques » — expliquait comment le « propagandiste moderne » œuvre pour « focaliser l’attention » sur un sujet donné.
« Il [sic] organisera un événement mondain, une cérémonie », a-t-il écrit dans son livre Propaganda. « À cette cérémonie seront conviées des personnalités connues pour influer sur les pratiques d’achat des citoyens ordinaires : un grand violoniste, par exemple, un artiste de renom, des célébrités mondaines. L’ascendant que ces gens exercent sur les autres groupes sociaux va porter l’idée [promue] à une place qu’elle n’avait pas jusqu’alors dans la conscience collective ».
Certes, Edward Bernays s’était concentré sur les pratiques d’achat, mais ce principe s’applique bien entendu à d’autres types de conduites, telles que le soutien à une cause humanitaire.
Certes, Edward Bernays s’était concentré sur les pratiques d’achat, mais ce principe s’applique bien entendu à d’autres types de conduites, telles que le soutien à une cause humanitaire.
L’ONU compte à l’heure actuelle 183 ambassadeurs de bonne volonté. L’actrice américaine Angelina Jolie, probablement la plus connue d’entre eux, s’est acquittée de cette tâche pour l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) pendant dix ans et est désormais envoyée spéciale du Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés.
Rien d’étonnant donc à ce que le samedi 16 novembre, l’Académie américaine des Arts et Sciences du Cinéma, mieux connue pour les fastes de sa cérémonie annuelle des Oscars, récompense les efforts de l’actrice en lui décernant le Jean Hersholt Humanitarian Award. Du nom d’un acteur et philanthrope danois, cette statuette est remise pour distinguer une personnalité du monde du cinéma qui s’est impliquée de façon exemplaire dans une cause humanitaire.
Le débat sur le rôle des ambassadeurs de bonne volonté est bien sûr ouvert. D’un côté, leurs partisans argumentent qu’ils sont en mesure d’accroître la portée du message et de permettre aux organisations d’atteindre un public qu’elles ne pourraient d’ordinaire pas toucher. Les détracteurs en revanche soulignent que les célébrités simplifient à l’extrême des sujets complexes et qu’elles détournent en fait l’attention vers des clichés qui ont la vie dure.
Et si les opinions divergent même à l’heure de déterminer si le jeu en vaut la chandelle, le phénomène (qui ne concerne pas uniquement l’ONU mais la plupart des organisations humanitaires internationales) n’est pas prêt de disparaître.
Quand la RAI 1, premier service public national et chaîne la plus regardée d’Italie, a annoncé qu’elle proposerait un programme filmant des célébrités en pleines opérations humanitaires, une véritable pagaille s’est emparée des organisations impliquées.
D’après des reportages, — baptisé The Mission — présentera huit célébrités travaillant deux semaines pour une ONG humanitaire dans des camps de réfugiés au Soudan du Sud, en République démocratique du Congo et au Mali.
Le programme a rapidement été catalogué de « TV réalité » – ce qui, dans ce contexte, est pratiquement synonyme de « TV poubelle ». Les critiques l’ont accusé de jouer avec les vies des réfugiés et de les tourner au ridicule, de minimiser les conséquences des conflits et de donner une deuxième vie à des célébrités de second plan.
L’agence fournissant le cadre humanitaire à ce programme est INTERSOS, une ONG basée à Rome présente dans 15 pays et active depuis 20 ans.
Le directeur d’INTERSOS Marco Rotelli a refusé l’étiquette de « TV réalité ». « Des personnes connues observeront et prendront directement part à des activités que nous menons à bien », a-t-il résumé dans une déclaration publique. « Elles feront de plein fouet l’expérience de la réalité humanitaire, aux côtés de personnes dans le besoin. En faisant preuve de compassion et de compréhension, elles décriront ensuite ce qu’elles ont vu aux téléspectateurs ».
Pourquoi INTERSOS s’est-elle impliquée dans le programme ? Pour « transmettre [son] message et [ses] connaissances au grand public, qui ne peut pas, à l’heure actuelle, accéder à ces informations dans les médias quotidiens », puisque les aspects humanitaires sont d’ordinaire « cantonnés à la dernière page des quotidiens, aux petits encadrés dans les marges des hebdomadaires ou aux cases horaires tardives à la télévision ».
La tempête médiatique faisant rage et la date de diffusion du programme (prévue pour le 4 décembre) s’approchant, il peut être judicieux de chercher quelle orientation les standards humanitaires peuvent donner au débat.
Le manuel Sphère, axé sur les fondements de la conception et de la mise en œuvre de programmes dans des domaines vitaux de la réponse humanitaire, ne comporte aucune section consacrée spécialement à la communication de crises et des interventions humanitaires. Cependant, le Code de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et pour les ONG lors des opérations de secours en cas de catastrophe, l’une des pierres angulaires du manuel, ainsi que les Principes de protection du manuel Sphère, se chargent de fournir une orientation.
Ainsi, le dixième et dernier principe du Code de conduite établit que : « Dans nos activités d’information, de promotion et de publicité, nous présenterons les victimes de catastrophes comme des êtres humains dignes de respect, et non comme des objets de commisération ». Le Code souligne le besoin de « respecter » les victimes d’une catastrophe, dont les « capacités et aspirations » doivent être mises en valeur. Il s’agit de donner « une image objective de la catastrophe » et de veiller à ce que des « demandes de publicité » ne prennent pas le pas sur « les secours ».
Le Code met également en garde contre des situations où la couverture médiatique pourrait « porter atteinte aux services fournis […], à la sécurité de notre personnel ou à celle des bénéficiaires ». Et à cet égard, le Code de conduite se retrouve dans le Principe de protection 1 du manuel Sphère — « Éviter d’exposer à d’autres préjudices, par vos activités, la population touchée par une catastrophe » — qui propose une liste de contrôle de questions à prendre en considération au moment d’analyser une activité donnée.
Selon Marco Rotelli, INTERSOS, , a bien pris en compte tous les aspects ci-dessus.
Le personnel de l’organisation et ses bénéficiaires ont été dûment informés, ont pesé le pour et le contre de la proposition et ont finalement « accepté de participer au programme ». L’organisation ne compte pas dévier ses fonds, son attention ou son énergie de ses activités humanitaires. Marco Rotelli croit même que le programme sera un vecteur « de droits et de dignité ».
En définitive, INTERSOS a-t-elle donc outrepassé les limites de la dignité, ou est-elle juste en train de payer le prix pour avoir une longueur d’avance sur son époque ? Seul l’avenir le dira. En attendant, si vous le pouvez, regardez la RAI 1 le 4 décembre pour vous forger votre propre opinion.